On a testé… « Pentiment », brillant jeu vidéo d’enquête sur fond d’enluminures de la Renaissance


Andreas Maler est un artiste qui voit s’éteindre l’art du manuscrit en raison de l’essor de l’imprimerie à caractère métalliques mobiles, inventée par Gutenberg.

Un pentimento est la preuve qu’un peintre a changé d’avis durant le processus créatif. Les historiens de l’art utilisent ce terme italien, que l’on traduit par « repentir », pour désigner une partie recouverte par l’artiste lui-même avant de terminer un tableau. Il peut s’agir d’une retouche de dernière minute comme d’une différence notable, observable au rayon X, entre la première esquisse sur la toile et l’œuvre finale.

Pentiment, jeu vidéo disponible le 15 novembre sur Xbox Series et PC, met en scène un artiste bavarois fictif de la Renaissance, Andreas Maler. Mais lui aussi, tel un chercheur de l’histoire de l’art, traque ce qui est invisible aux yeux de tous et fait remonter des histoires oubliées.

Drôle d’enquête au XVIᵉ siècle

Un meurtre dans une abbaye, un moine copiste en guise de principal suspect, et son disciple dans le rôle de celui qui va tenter de l’innocenter. Depuis la sœur supérieure du couvent voisin jusqu’au charbonnier amateur de commérages, le disciple va entreprendre d’interroger le clergé local et les villageois pour démasquer le véritable coupable. Une démarche que n’aurait pas reniée l’Hercule Poirot ou la Miss Marple des romans d’Agatha Christie.

Comme dans « Le Nom de la Rose » d’Umberto Eco, une scène de meurtre dans une abbaye bénédictine provoque une enquête selon les codes du roman policier.

Mais la collecte d’indices n’a rien d’évident. Chaque personnage a sa propre personnalité et des motivations cachées. Beaucoup rechignent à se livrer, d’autres se plaisent à nous rudoyer. Seule notre sagacité dans le choix des questions (ou des réponses), dans les dialogues à choix multiples permet d’étayer nos soupçons. A cela s’ajoute la personnalisation des connaissances du protagoniste, qui ouvriront plus facilement quelques-uns des multiples embranchements d’un récit qui s’étale sur plusieurs décennies.

A nous de personnaliser le bagage intellectuel d’Andreas Mahler. Comme dans tout CV, certaines compétences sont plus utiles que d’autres. Le jeu est entièrement traduit en français, mais les visuels fournis sont en anglais.

Cette formule du jeu de rôle classique – que certains diront éculée – permet de nous mettre à l’aise dans un univers déstabilisant : la Bavière du début du XVIe siècle dont nous découvrons les fractures, les étonnants codes sociaux et les références artistiques.

Un cadre dépaysant

Multipliant les scènes du quotidien, comme les repas à table ou le coucher, Pentiment nous propose un portrait choral, et à hauteur d’homme, de ce village bavarois. Il nous montre le destin complexe de petites gens dont la vie est bouleversée par la transition entre le Moyen Age et l’époque moderne : une révolte de paysans contre le clergé, la diffusion des livres imprimés ou l’émergence de la réforme protestante.

Non, vous n’êtes pas au festival américain du « Burning Man » mais dans un rite païen bavarois.

La nouvelle production d’Obsidian Entertainment brille par les nuances de son écriture, son souci de véracité historique et ses thèmes atypiques dans le jeu vidéo (l’historiographie, le syncrétisme religieux, les affres de la création). Toutefois, l’expérience s’avère très bavarde. Les quinze heures d’enquête de ce jeu narratif ne sont pas exemptes de longueurs, certaines digressions pesant sur le rythme de l’expérience.

L’exigence littéraire fait la singularité de ce projet du réalisateur américain Josh Sawyer (Fallout : New Vegas), passionné d’histoire et lui-même d’origine allemande. La dimension personnelle point dans le dernier tiers de l’aventure, quand elle médite sur les réécritures successives de l’histoire par ceux qui dominent – ici le clergé et la noblesse. L’histoire alternative, celle qui se dessine alors que l’enquête touche à sa fin : le voilà, le véritable « pentimento » du titre.

Pur plaisir visuel

Pour mieux nous immerger dans les prémices de la Renaissance en Bavière, Pentiment lie la forme au fond, grâce à ses décors et ses personnages reproduisant l’esthétique des livres manuscrits dessinés par le héros. Autre astuce de mise en scène : la police des dialogues qui s’affichent à l’écran (le jeu n’est pas doublé) varie d’un personnage à l’autre, reflétant le statut social et l’éducation de chacun.

Pentiment est ainsi un pur plaisir visuel, une sorte de roman graphique qui repose sur les joutes verbales qui défilent dans des bulles interactives comme dans une bande dessinée, davantage que sur sa musique (rare) et ses bruitages (répétitifs).

« Pentiment » est en fait une mise en abyme. Le jeu est lui-même un manuscrit dont l’identité de l’auteur est l’ultime secret du jeu.

L’expérience reste profondément vidéoludique. La multiplicité des trajets possibles donne le vertige. Beaucoup de choix sont cruciaux voire vitaux. Leurs conséquences affectent l’avenir de la communauté et nous interrogent : que se serait-il passé si nous avions su être plus convaincants, ou avions accusé quelqu’un d’autre ? Ces histoires abandonnées en cours de route, ces destins alternatifs invisibles sont, eux aussi, pour le joueur, une forme de pentimento.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • les joutes verbales avec des personnages étonnants ;
  • une sorte de roman (historique) dont vous êtes le héros ;
  • prendre des décisions qui affectent le destin collectif ;
  • un jeu savant qui ne nous prend pas de haut.

On a moins aimé :

  • quelques longueurs et répétitions ;
  • peu de musique et des bruitages de dialogues répétitifs.

C’est plutôt pour vous si :

  • votre matière préférée a toujours été l’Histoire ;
  • vous pensez que la Bavière gagnerait à être connue ;
  • un Hercule Poirot bavarois sommeille en vous.

Ce n’est plutôt pas pour vous si :

  • vous détestez lire de gros pavés ;
  • les dilemmes vous hérissent ;
  • vous avez envie de dézinguer des orques ou des zombies.

La note de Pixels :

L’an de grâce 1518/1558.



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